Lire le premier chapitre de « Noirs désirs… »

Voici le premier chapitre de « Noirs désirs au Trez-Hir »

Chapitre 1

 

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Sur la cale située près de la piscine d’eau de mer de Plougonvelin, la voiture de police utilisée par le meurtrier de Stéphane Beuchec se tient immobile face à l’océan. Stoïque et fière et puis légèrement enfoncée sur le devant aussi après avoir buté contre le mur d’enceinte de la superbe propriété qui longe la plage à cet endroit. Ses occupants ont été réveillés par un bruit sourd vers 23 heures. Avec un peu d’inquiétude, le propriétaire des lieux s’approche de la voiture. Personne. Au loin, il aperçoit une ombre qui fuit vers la route de Brest. « C’était un grand noir, avec une boucle d’oreille », confiera-t-il aux enquêteurs par la suite. Avant de se rétracter. « Non, je plaisante. Je n’ai rien vu. Il faisait aussi noir que dans le cul d’une vache. Et je peux vous assurer que l’on n’y voit rien. Je suis vétérinaire ». Une gaudriole qui n’eut pas l’heur de plaire à l’inspecteur Martial Dubillard.

 

– Et bien ce faux témoignage vous vaut de rester une nuit supplémentaire avec nous, fit Dubillard en vrai pince sans rire.

– Pardon, mais je n’ai rien fait, répliqua l’homme.

– Cela reste encore à prouver. C’est pourquoi vous allez passer quelques heures de plus avec nous.

– En prison ?

– En cage si vous préférez puisque vous aimez les métaphores animales. Mais dans la police nous ne sommes pas chiens. On vous offre le petit-déjeuner. Thé ou café ?

 

Une fois remis de sa déconvenue, et sorti de sa garde à vue, l’homme, plutôt procédurier s’enquit de trouver un avocat. La chose fut facile devant le nombre de professionnels du barreau habitant la commune. Il procéda par enchères inversées. Le principe ? Vous proposez une affaire à des personnes qui doivent proposer le prix le plus bas pour la remporter. Une plainte contre la police, surtout en provenance d’un notable dans une affaire médiatisée, assure quelques retombées publicitaires. Les avocats, qui sont privés par la loi de la possibilité d’effectuer leur propre réclame, utilisent cette possibilité pour montrer leur trombine et tout leur talent oratoire ; et par là-même gagner quelques clients supplémentaires qui paieront les traites de la résidence secondaire.

 

La voiture de police n’avait pas bougé depuis trois jours. Les pompiers du Pays d’Iroise avaient éteint l’incendie qui s’était déclaré quelques instants après le choc. Des bandes de plastiques interdisaient l’accès au véhicule. La police locale attendait la venue de leurs collègues de la scientifique. Basés à Rennes, ils souffraient des restrictions budgétaires imposées par l’État pour limiter les déficits. Leur crédit dédié à l’essence était épuisé jusqu’au 30 juin. Il leur fallait soit attendre le 1er juillet pour faire le plein de leurs véhicules, soit payer de leur propre poche.

 

La dernière fois que l’un d’entre eux avait avancé ce type de frais, il avait été remboursé avec douze mois de décalage. Autant dire qu’ils n’étaient pas très pressés de recommencer. L’équipe rennaise attendait donc dans ces bureaux haut-bretons, fumant clope sur clope devant une rediffusion des Experts sur la télé de 38 centimètres à tube cathodique qui égayait leur salle de pause. L’écran était si vieux qu’il n’était pas rare d’entendre la voix de Thierry Roland aux commentaires lors de la diffusion des matchs de foot. Paix à son âme. L’équipe de scientifiques partirait le lendemain avec peu d’espoir de trouver quoi que ce soit d’intéressant.

 

Le véhicule était vite devenu une attraction pour les plagistes qui venaient se dorer la pilule sur la plage voisine. Nombreux étaient ceux qui réalisaient le détour avant d’aller entretenir leur cancer de la peau. Le soir des familles entières descendaient du bourg pour regarder l’épave.

Des anciens qui avaient passé la journée sur le muret d’en face racontaient ce qu’ils avaient cru comprendre de l’avancement de l’enquête. Malheureusement leur ouïe déficiente les menait sur des voies contraires. Ils racontaient ainsi que la police recherchait « un fantôme d’Albert Einstein, accompagné, la bouche en cul de poule, de Pluto ou Mickey », quand les propos exacts des policiers qui entouraient la voiture avaient été « un homme, accompagné de chiens, dangereux pour la foule, plutôt musclé ».

 

– Cela ne veut rien dire, avait dit l’un des promeneurs, qui s’y connaissait en sémantique, puisqu’il jouait les oreilles sur un sous-marin lanceur d’engins sur la base de l’Ile longue, de l’autre côté de la rade.

– Je ne vous le fais pas dire, répondit le vieux, en relevant sa casquette. C’est n’importe quoi la police de nos jours. De mon temps, tout le monde parlait de manière compréhensible. Maintenant, j’ai l’impression que tout le monde parle anglais.

– What did he say ?, fit en souriant Adam Fraisley, professeur d’histoire britannique, et jamais avare de blagues potaches, on le surnommait d’ailleurs “Elvis”, ce que ne cachait pas son air bonhomme.

– Qu’est-ce que je disais. L’autre jour, Monsieur Fraisley, parlait un français délicieux mâtiné d’expressions québécoises et aujourd’hui il baragouine dans la langue des auteurs de Mers El Kébir. Rien n’est plus comme avant.

– C’est à cause de ce qu’ils envoient dans l’atmosphère, fit le dernier arrivé qui n’avait entendu que la dernière partie de la conversation et pensait que l’on parlait de la météo maussade, ce que faisait d’ordinaire la population la moitié du temps.

 

Il n’en fallut pas plus pour que le petit attroupement s’anime. Tout le monde alla de son commentaire sur les raisons des conditions météorologiques déplorables qui touchaient la région depuis plusieurs semaines et qui minaient le moral de la population.

 

– J’ai lu que c’était à cause du bouclier antimissile des Américains, fit une femme replète à qui il tardait de participer à ce forum improvisé.

– Ce n’est pas plutow à caus’ du bouclier fiscal, demanda Fraisley, décidément en grande forme ce soir-là et qui aimait mélanger intonations bretonnes et anglaises.

– Memestra. C’est nos impôts qui partent là-dedans, dit le sous-marinier qui oubliait qu’il était payé par l’État…

Il était plus de 18 heures et ce petit monde s’apprêtait à lever l’ancre quand un cri strident provint de la plage. Comme un seul homme, le groupe se rua sur la plage, laissant les arthritiques un peu derrière. Un peu plus loin, une jeune fille remontait vers le centre nautique en hurlant. Son groupe d’amis discutait près des catamarans d’exercice qui accueillaient toute la journée les débutants voileux. Une fois près d’eux, elle s’agrippa de toutes ses forces au premier jeune homme, montrant du doigt le bas de la plage. Quelques garçons du groupe s’élancèrent vers la mer, tandis que d’autres de ses amis tentaient de calmer la jeune fille, manifestement troublée par sa découverte.

 

« Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ». Tout le monde connaît ce proverbe attribué à la sagesse chinoise. Les curieux, pas imbéciles pour deux sous, près de la voiture de police aussi. Plutôt que de se rendre près de la jeune fille, ils descendirent. Direction l’eau. Là, quelques-uns vomirent leur repas en découvrant le macabre spectacle. Un tronc humain sans bras, qu’entoure une cordelette, gît sur le sable. Une étrille mordille son téton gauche. Une pluie fine commence à tomber sur le Trez-Hir mais les préoccupations de la population ne sont plus au temps qu’il fait.

 

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